Analyse économique de l’industrie audiovisuelle, avis d’un professionnel
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Analyse économique de l’industrie audiovisuelle, avis d’un professionnel

Nelly Rajaonson • Directrice de station du Groupe TV Plus
| Interview

1- Comment les évolutions récentes de l'économie ont elles affecté la santé financière de votre station télé et radio ?

Pour le dire sans fioritures, l’inflation a directement impacté les coûts d’exploitation et les coûts fixes.

Pour exemple, la hausse du coût du kilowattheure de l’électricité de 370 Ariary à 666 Ariary a fait flamber les factures de Jirama.

La hausse des denrées alimentaires sur les étals du marché a entraîné l’augmentation des dépenses relatives à la cantine du personnel, un pilier au sein d’une entreprise audiovisuelle.

En général, les factures d’achat de quelque type que ce soit ont explosé.


Les stations radio et télé vendent leurs espaces d’antenne. Durant les périodes difficiles, les annonceurs ont tendance à juguler leurs investissements en matière de communication. Avec le contexte inflationniste, et la réticence des annonceurs, le chiffre d’affaires se contracte.

Cependant, « c’est principalement là que se révèle l’importance de la communication des entreprises en difficulté. Face aux nombreux obstacles susceptibles de marquer le parcours de l’entreprise, une communication bien conçue est un outil efficace de sortie de crise »

Laurent Dufour, Le blog du dirigeant, 18/02/2021


Les espaces d’antenne servent de supports sûrs et pérennes dans ce sens. 

La réduction des marges est donc un passage obligé, surtout que l’inflation est partie pour durer, face au contexte mondial de post-crise sanitaire et à l’aube d’une nouvelle guerre froide, avec pour toile de fond, la guerre en Ukraine 


2- Quels sont les principaux défis économiques auxquels votre station télé et radio est confrontée en ce moment ?

Le secteur de l’audiovisuel est fortement concurrentiel avec 15 stations de télévision et plusieurs dizaines de stations radio, rien que dans la Capitale.

Pour y faire face, le maintien des grilles tarifaires en vigueur a été l’une des stratégies adoptées : pour fidéliser la clientèle et ne pas rebuter les nouveaux annonceurs qui optent pour une communication bien conçue, sur un support fiable, afin de parer les effets de la crise. 

En conséquence, le chiffre d’affaires stagne plus ou moins.

Or, comme évoqué précédemment, l’inflation est une réalité qui va persister.  

Jongler avec ces deux paramètres reste le principal défi. Pour rester terre à terre, disons qu’il s’agit de maintenir à flot le flux de trésorerie pour pouvoir continuer à innover en matière d’équipements et à motiver les ressources humaines.


3- Comment votre station télé et radio gère-t-elle la concurrence des plateformes de streaming et de contenu en ligne ?

Le groupe y a répondu en créant – assez tardivement, il faut en convenir – sa page TV Plus Madagascar Ofisialy depuis le 1er décembre 2019 qui engrange actuellement 600 000 followers

Sinon le compte YouTube/tvplusreplay existe depuis un peu plus de 13 ans et reste une plateforme privilégiée par la diaspora.

Autrement, la présence sur plusieurs plateformes a également été priorisée : webradio – plateformes satellitaires : Canal+, StarTimes, Parabole – plateformes terrestres : Blueline TV, Telma TV, UHF Antsirabe, UHF Morondava, UHF Fianaranatsoa, UHF Mananajary, UHF Toliara, UHF Toamasina, UHF Ambatondrazaka, UHF Antananarivo

La concurrence des plateformes de streaming et de contenu en ligne ne représente pas encore une menace immédiate en termes de concurrence mais cela évoluera en conséquence avec le temps et c’est la raison pour laquelle le groupe TV Plus Madagascar est présent sur les réseaux sociaux. 


4- Quelles stratégies votre station télé et radio a-t-elle mises en place pour maintenir sa rentabilité et sa croissance malgré les défis économiques actuels ?

Côté Chiffre d’affaires, création d’émissions et d’événements pour susciter l’intérêt des annonceurs reste la plus impactante.

Côté dépenses de fonctionnement, renforcement de la cellule, du département Achat, dédiée à comparer les devis pour un rapport qualité/prix avantageux dans tous les achats


5- Comment votre station télé et radio travaille-t-elle avec les annonceurs et les sponsors pour maintenir ses revenus publicitaires ?

Je citerai quatre éléments-clés :

- Jongler entre les paiements au comptant (pour tous les clients) et à crédit (réservé aux gros clients et de longue date)

- Des remises spécifiques sur les diffusions de spots

- Des bonus pour les clients privilégiés

- Des offres préférentielles correspondant à tout ce qui est événementiel


6- Quelles sont les perspectives pour votre station télé et radio en termes de croissance économique et de viabilité à long terme ?

L’extension géographique garantit la meilleure voie vers la croissance et la viabilité à long terme. Mais c’est un grand défi car cela nécessite d’importants investissements. Heureusement, les centres de formation des métiers de l’audiovisuel sont assez nombreux pour pouvoir constituer un réservoir de ressources humaines compétentes, ingrédients absolument nécessaires pour performer dans ce domaine d’activité. Toujours est-il que l’extension géographique signifie l’accès à de nouveaux marchés, c’est pour cela qu’elle équivaut à une perspective de croissance.


7- Quel est votre avis sur la situation économique actuelle à Madagascar ?

Le coût de l’énergie se révèle être le plus problématique. L’accès à l’énergie est pourtant un facteur crucial pour une économie prospère.

Les voies de circulation également laissent a désirer, qu’elles soient nationales, régionales, ou même communales. Madagascar doit beaucoup investir pour réhabiliter les routes et en construire des nouvelles car elles contribuent certainement à fluidifier les échanges et à faire tourner l’économie d’un pays.


8- Quelles politiques économiques ou réformes le gouvernement malgache devrait-il mettre en œuvre pour stimuler la croissance économique ?

Autant les voitures neuves ne passent pas de visite technique durant les 5 premières années de leur mise en circulation, ce serait percutant d’en faire autant avec les entreprises nouvellement créées en leur donnant 5 années sans payer de taxes. Après tout, si ces entreprises n’existaient pas, ou existaient mais évoluaient dans l’informel, l’Etat ne percevrait pas non plus leurs impôts ; alors qu’avec une politique incitative de zéro taxe pour les 5 premières années d’activité, c’est le meilleur moyen d’aiguiller les entrepreneurs à privilégier le secteur formel, tout en s’assurant de recettes fiscales futures, et surtout de promouvoir la création d’entreprises, et d’emplois. Toutes les parties prenantes en sont bénéficiaires car même les entreprises déjà en activité tireront profit de l’arrivée de nouveaux acteurs que ces derniers soient dans le camp des fournisseurs ou des clients.


9- Comment la situation politique actuelle à Madagascar impacte-t-elle l'environnement des affaires ?

La perception d’une impunité, des puissants et des nantis en général, installe un climat d’insécurité auprès des investisseurs. 

Les juges via leur Syndicat se plaignent de pressions politiques exercées dans leur travail. Or la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice sont inscrites dans nos lois. Il revient donc aux juges d’avoir « tout simplement » le courage de les rendre effectives, en prononçant des verdicts appropriés à la loi, nonobstant les pressions directes ou indirectes. Mais non pas agiter à chaque fois comme un épouvantail le spectre desdites pressions pour cacher des défaillances ou d’éventuelles corruptions dans le milieu.

Le pouvoir judiciaire a un rôle important à jouer dans l’instauration d’un climat des affaires favorable et serein, où les justiciables savent pouvoir compter sur le sérieux, la rigueur et l’impartialité du système judiciaire 


10- Enfin, quels sont vos espoirs pour l'avenir économique de Madagascar ?

A l’instar d’une entreprise qui a besoin de ressources pour fonctionner et se maintenir en vie, un pays en a autant besoin. L’espoir est permis pour Madagascar car Dieu l’a doté de multiples ressources humaines avec une population jeune dans sa majorité, et naturelles (minières – biodiversité – produits agricoles d’exportation – etc…). 

Même si Madagascar n’a pas véritablement la maitrise de ses ressources naturelles, (au vu des multiples trafics en la matière, mais aussi du diktat du marché international rarement en faveur de petits pays pauvres), l’espoir reste permis que, dans le futur, lointain ou proche qu’importe, cette jeunesse, une fois aux manettes et instruite des arcanes nécessaires, osera enfin se les approprier comme leurs et les utiliser comme de véritables ressources pour faire fonctionner le pays et en développer l’économie, au lieu de le faire principalement via l’endettement.


11- Quel est l'impact de l'industrie audiovisuelle sur l'économie de Madagascar ?

J’imagine que l’impact est à la mesure de n’importe quelle entreprise qui paie des impôts, investit, et crée de l’emploi mais je ne dispose pas des chiffres globaux pour m’avancer à une quelconque hypothèse


12- Comment les entreprises audiovisuelles peuvent-elles contribuer au développement économique du pays ?

Globalement,

  • En payant des impôts
  • En créant des emplois
  • En investissant encore et encore

Plus spécifiquement,

  • En pérennisant la liberté d’expression et la liberté d’opinion
  • En créant des émissions qui contribuent à l’éducation civique


13- Comment la réglementation et la politique gouvernementale influencent-elles l'industrie audiovisuelle à Madagascar ?

L’univers fortement concurrentiel du secteur audiovisuel sur tout le territoire national tendrait à donner une vitrine d’une certaine liberté de la presse, même si sur la scène internationale, Reporters Sans Frontières avait placé Madagascar à la 98ème place sur 180 pays, classement qui avait reculé de 41 places en 2022. Toujours est-il que selon la ligne éditoriale de chaque organe de presse, la nouvelle règlementation 2020-006 du 01/09/2020 a banni l’emprisonnement en matière de délit de presse, ce qui est une réelle avancée. Même si force est de reconnaître que les « ennemis » de telle ou telle presse pourront toujours recourir à d’autres voies détournées pour y parvenir.

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